Deux établissements, un patron : un boulevard pour l’extrême droite à Versailles
Après avoir réalisé un travail d’enquête sur le groupe néo-fasciste versaillais Auctorum, l’Action Antifasciste Yvelines a décidé de s’intéresser à deux établissements qui ont pignon sur rue à Versailles et qui n’ont cessé depuis leur création d’accueillir l’extrême droite sous toutes ses formes. C’est donc sur les cas du Craft Beer Lab et du Cocorico que nous allons nous pencher, deux bars qui appartiennent au même propriétaire.
Le Craft Beer Lab (CBL) et le Cocorico, ce sont avant tout l’histoire du patron, Alexey Negin. En 2014, il crée avec un associé l’entreprise Lamengin, grâce à laquelle ils rachètent le bar/restaurant « La Gueuze », Rue Soufflot à Paris, à 300 mètres du Panthéon. Le business semble plutôt bien fonctionner puisque quatre ans après, l’entreprise Lamengin rachète une laverie située juste à côté de « L’Académie de la Bière », institution parisienne, et y installe à l’été 2018 « Vape&Beer », aussi connue comme la cave de l’Académie. Quant au deuxième associé de l’entreprise Lamengin, il crée une seconde entreprise afin de racheter l’Académie de la Bière en 2020. C’est dans cette cave à bière qu’Alexey Negin se fait la main. Avec son employé, il crée WCB France en 2019, entreprise de commerce de bières en gros et au détail qui permet à Alexey de contribuer à son commerce au sein de la cave de l’Académie mais surtout, de préparer l’ouverture de sa future cave à bières à Versailles, le Craft Beer Lab.
Quand il pose ses valises à Versailles en février 2020, Alexey Negin a donc une bonne expérience du commerce de la bière et des fonds qui lui permettent d’obtenir des locaux bien placés, 6 rue des Récollets, aux pieds du château de Versailles. La période COVID rend compliquée l’ouverture du Craft Beer Lab, qui fonctionne en vente en ligne ou à emporter jusqu’à l’été 2020. Par ailleurs, l’ouverture au public du bar ne dure que quelques mois avant la deuxième vague COVID qui oblige le bar à fermer à nouveau ses portes jusqu’à l’été 2021 et à repasser en vente en ligne. Malgré tout, ces quelques mois d’ouverture ont permis au CBL de se faire un petit public local, des riverain·e·s mais surtout beaucoup d’étudiant·e·s des écoles et universités voisines (ENSA-V, UVSQ, prépas, etc). Parmi ce jeune public, on trouve aussi les néo-fascistes d’Auctorum dont l’existence reste encore confidentielle mais pour qui le patron comme l’équipe du CBL se prennent vite d’affection.
En plus des stickers Auctorum, Action Française, Dissidence Française et autres groupes fascistes qui fleurissent autour du bar, on peut observer plusieurs références fascistes dans la déco intérieure du CBL. Alors qu’en septembre 2020, des dessins viennent couvrir les murs de l’établissement, des croix celtiques mais aussi des références à l’Espagne franquiste (« Vive la Mort » écrits à plusieurs endroits) apparaissent. Pire encore, un bel espace est réservé juste au dessus du présentoir à bières du bar pour un tag « Tommie Lindh présent », accompagné d’une croix celtique. Le tag a été effacé quelques mois après pour laisser la place à d’autres gribouillages mais une chose est sûre, ce tag est en lien direct avec l’hommage rendu à Tommi Lindh devant le château de Versailles en mai 2021 par les groupes Auctorum, Luminis et Paris Nationaliste (émanation des Nationalistes, ex-Œuvre Française). On retrouve même sur le Facebook du bar, une photo du patron avec une croix celtique taguée sur le mur derrière le comptoir. Beaucoup de ces inscriptions ont désormais disparu mais on en retrouvait encore en 2023, notamment un « Vive la France et son armée ! » juste au dessus du comptoir du bar. Drôle d’ambiance.
C’est en 2022 que cette collaboration entre le Craft Beer Lab et Auctorum s’officialise, avec l’organisation par Auctorum d’un concert du groupe de rock fasciste Franc-Tireurs Patriotes au CBL1, groupe dont le concert prévu un an plus tard à Lille sera interdit par la préfecture (annulation notamment justifiée par la présence des membres de FTP au concert néo-nazi organisé par le GUD à Saint-Cyr l’Ecole le 9 mai 20232). Non content d’accueillir un concert faf dans son bar, le patron n’hésite pas à suivre Auctorum et d’autres pages d’extrême droite et à mettre des likes sur leurs photos d’entraînement de boxe. Il poste même sur la page officielle de son bar les photos du concert, avec le drapeau d’Auctorum tendu au dessus de la « scène » mais également des gros plans sur des t-shirts dont les logos et slogans semblent décidément familiers de ce bar, comme « Viva la morte », la croix celtique ou encore le valknut3, symbole nordique détourné en symbole suprémaciste par l’extrême droite. On retrouve aussi un certain nombre de polo Fred Perry noirs à liseret jaune dans la foule, modèle de polo choisi par le groupe suprémaciste américain Proud Boys pour se démarquer et qui force même la marque à retirer de la vente ce modèle4.
2022, c’est également l’année pendant laquelle le patron du CBL fait l’acquisition d’un deuxième local commercial, le Cocorico, situé au 7 passage Saint-Pierre, toujours à Versailles. Ce local est destiné à accueillir un deuxième débit de boisson plus classy, avec une pièce principale plus grande et un étage privatisable. Mais avant l’ouverture, il faut faire des travaux. C’est ainsi qu’Alexey Negin fait appel à Thibault Bonnaud, alors trésorier d’Auctorum (devenu aujourd’hui chef du groupe), pour des travaux de carrelage et de maçonnerie. Par ailleurs, à la même période, Thibault travaille comme barman au Craft Beer Lab en parallèle de ses études. On observe donc un copinage plus que consommé entre le gérant d’un, et bientôt deux établissements sur Versailles et un groupe néo-fasciste dont les membres sont visés par plusieurs affaires judiciaires pour faits de violence.
Un événement inquiétant illustre parfaitement cela. Le 12 janvier 2023 vers 19h, alors que des membres du Cercle de Silence de Versailles (action publique non-violente pour le respect des droits et de la dignité des étrangers sans-papiers) plient bagage, iels sont pris·es à parti et insulté·e·s par trois individus habillés, casquettés et masqués de noir, provenant du Passage Saint-Pierre. Des propos racistes tels que « l’insécurité vient des immigrés », « ce sont des violeurs comme cet érythréen… des délinquants », mais aussi des menaces (dont certaines sexistes) telles que « La prochaine fois on vous fera danser » ou «c’est votre génération qui les a fait venir, heureusement que dans dix ans vous serez morts » sont prononcés5. Parmi eux, Thibault (encore lui…) et Victor (autre pilier d’Auctorum), fraîchement rentrés d’un weekend à Rome chez les néo-fascistes de Casapound6. La raison de cette virée en Italie était l’hommage annuel des fascistes italiens à trois de leurs membres assassinés devant les anciens locaux du MSI, parti néo-fasciste fondé à l’après-guerre et dont le logo en forme de flamme tricolore a inspiré celui du Front National.
Alexey Negin a donc offert un certain nombre de moyens logistiques et économiques à Auctorum, que ce soit par l’accueil d’un concert faf, l’emploi de membres d’Auctorum au sein de son entreprise ou même tout simplement, le fait de leur offrir un espace où ils sont « chez eux ». Car c’est bien là que tout a commencé à se jouer. En laissant des militants d’extrême droite s’installer dans son bar, en faire leur repère, dessiner des croix celtiques sur les murs et recouvrir les gouttières du bar avec des stickers fascistes, le patron du Craft Beer Lab a offert à Auctorum et à l’extrême droite en général un espace où se rencontrer, créer du lien et se développer. Et aux dernière nouvelles, ces liens ne sont pas moins forts aujourd’hui, puisqu’Auctorum publiait en novembre 2023 pour ses quatre ans d’existence une photo de Paul Pichon, son désormais ex-chef, accoudé au comptoir du CBL avec un t-shirt floqué d’une citation du collabo et antisémite Brasillach.
Nous l’avons vu, le patron du Craft Beer Lab et du Cocorico entretient de très bonnes relations avec le groupe néo-fasciste versaillais Auctorum. Cependant, ses sympathies ne semblent pas s’arrêter là mais concernent toutes les composantes de l’extrême droite et notamment les partis politiques et syndicats étudiants.
C’est auprès de Reconquête, le parti d’Eric Zemmour, qu’Alexey Negin se montre le plus concilient. En 2021, c’est au Craft Beer Lab que les militant·e·s de Génération Zemmour 78 célèbrent le lancement de campagne de leur candidat. A cette soirée, on retrouve notamment Alexandre de Carbonnières (cadre Gen Z 78), Hubert Vonderscher (petit frère de Vianney Vonderscher, responsable RNJ 78 et attaché parlementaire RN mais aussi ancien président de la Cocarde7) ou encore Aodrenn Thibault (proche d’Auctorum). Iels vont même jusqu’à déployer une grande banderole « Zemmour 2022 » devant le bar pour le Nouvel an. Les Gen Z ont également le droit de s’organiser des « Zapéro » Zemmour au CBL, avec diffusion des passages sur CNews de Zemmour sur la télé du bar. Ce champ libre que laisse le patron du Craft Beer Lab ne semble d’ailleurs pas s’être limité aux campagnes électorales de 2022 puisqu’encore dernièrement pour la campagne des Européennes 2024, les responsables locaux ET nationaux donnaient rendez-vous au Craft Beer Lab pour des soirées de recrutement.
Le 18 avril 2023, soit deux semaine seulement après l’ouverture du Cocorico, Alexey Negin y accueille Philippe Vardon (ex-membre du groupe de RAC Fraction, membre fondateur du Bloc Identitaire et cadre de Reconquête), Laurence Trochu (candidate locale récemment élue députée européenne sous l’étiquette Reconquête) et Oliver Le Coq (délégué département Reconquête 78) pour une conférence. Il y avait tant d’autres endroits pour organiser une telle conférence, plutôt qu’un bar tout récemment ouvert et encore peu connu mais c’est bien le Cocorico qui a donc presque inauguré son bar en accueillant la crème du parti pétainiste Reconquête. Il est à noter que cette invitation intervient deux semaines après la venue de Zemmour au Palais des Congrès de Versailles pour la présentation de son dernier torchon. Cette même journée, une vingtaine de membres d’Auctorum et d’élèves du lycée militaire de Saint-Cyr-l’Ecole étaient venus attaquer un blocus au Lycée La Bruyère de Versailles, dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites. Un climat qui là encore, est justifié par le soutien apporté aux néo-fascistes versaillais et autres partis d’extrême droite par des chefs d’entreprise comme le patron du CBL et du Cocorico qui leur offre un boulevard.
On peut évoquer brièvement l’UNI UVSQ qui, brillant par son inexistence sur les campus de la fac, trouve tout de même le temps de préparer les campagnes électorales étudiantes au CBL. Leur apéro de rentrée 2023/2024 s’y est d’ailleurs tenu le 3 octobre dernier. Dommage pour ce syndicat fantomatique, on ne les a plus entendus ni vus de l’année, pas même au CBL. Enfin, presque. Un de leurs militants a fini par se faire embaucher et travaille désormais comme barman du CBL. Ce même barman qui, comme un heureux hasard, like et suit aussi les pages Facebook et comptes Instagram d’Auctorum, de Luminis et du GUD.
Il y a également le « groupe de chant » facho-tradi Canto Versailles, renommé récemment en Chantons Versailles qui organise régulièrement des apéros chantants dans les établissements d’Alexey Negin ou sur la place publique à Versailles et qui est une émanation du Projet Canto, dont Libération et La Horde ont déjà dressé le portrait8. Projet au départ centré sur le développement d’une application mobile pour inciter les utilisateur·ice·s à chanter des chansons traditionnelles (comme l’hymne officiel de la dictature franquiste Cara Al Sol), le Projet Canto s’est décliné après la période COVID en des apéros chantants bien français aux quatre coins de la France. Derrière le côté « franchouillard » et gentillet de ces soirées, c’est l’occasion pour la jeunesse de droite de se retrouver, que ce soit les milieux tradi, les lycéens militaires de Saint-Cyr, les nazillons d’Auctorum ou d’autres bourgeois qui regrettent leurs années en école de commerce. Ainsi, iels créent du lien, se rencontrent, échangent et copinent, sans avoir besoin cette fois-ci de fonctionner via un événement privé et de se terrer dans un lieu annoncé à la dernière minute, comme c’est le cas pour les conférences d’Auctorum (voir nos posts sur ce sujet).
Ce dernier point est important puisqu’il se rapporte au combat culturel mené par l’extrême droite ces dernières décennies. Ces événements ne sont pas que de simples soirées franchouillardes faites de chants autour de quelques verres de bière, de saucisson et de fromage. Ces apéros organisés par Chantons Versailles font partie intégrante du modèle identitaire et de la culture traditionaliste qu’il diffuse, celle d’une France profonde, attachée aux produits bien de chez nous, aux chants bien de chez nous, aux gens bien de chez nous. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Chantons Versailles sont allés se montrer au Salon de l’agriculture mais bien pour revendiquer leur attachement au monde agricole et aux « terroirs », le monde paysan ayant toujours été dragué par l’extrême droite, tout particulièrement en temps de crise (comme ce fut le cas cette année au Salon).
Depuis plusieurs années, des entreprises privées et associations menées par des militant·e·s d’extrême droite accroissent leur influence tant dans le domaine de l’agroalimentaire ou de l’artisanat que de l’événementiel. Ainsi, de plus en plus de bourgeois·es né·e·s de bonne famille se lancent dans l’élevage porcin, l’apiculture, le travail du bois mais aussi organisent de grands banquets chantants qui rassemblent des dizaines de militant·e·s d’extrême droite comme le Canon Français9, la Grande Ripaille10 ou encore tout simplement, la chaîne de restauration Gueuleton11. Cette chaîne, qui possède 21 établissements dont la quasi-totalité accueille le Projet Canto/Chants de France, a vu passer dans certains de ses établissements des militants néo-fascistes comme Erwan Deshais, membre d’Auctorum et qui a travaillé au Gueuleton Nantes pendant l’été 2023.
Cet intérêt pour de vieux chants français, une certaine culture culinaire française et surtout un folklore vieille France ne sont pas inoffensifs et constituent les éléments les plus accessibles au grand public pour mener la bataille culturelle, dont Antonio Gramsci disait que son hégémonie était mère de toutes les batailles. Gramsci, fondateur du Parti communiste italien, militant antifasciste de la première heure à qui il en coûtera la vie, est ironiquement devenu une des principales références de l’extrême droite et tout particulièrement des milieux néo-nazis, ou « nationalistes révolutionnaires ». Aujourd’hui, cette bataille culturelle a quitté les obscures revues et cercles de réflexion fascistes pour prendre forme à travers des banquets, des sessions de chants, et l’actualité politique tend à montrer que l’extrême droite est en train de la remporter.
En accueillant les petits chanteurs de chez Chantons Versailles dans ses établissements, Alexey Negin contribue à la victoire de l’extrême droite dans cette bataille culturelle, lui qui accueille également à bras ouverts chaque formation locale d’extrême droite, sans oublier son amitié et l’aide précieuse qu’il a apporté au groupe néo-fasciste Versaillais Auctorum.
Etudiant·e·s, zythologues, riverain·e·s ou touristes, vous savez désormais quels bars éviter pour ne pas financer la vermine fasciste locale, qu’elle soit groupusculaire, institutionnelle ou associative. Nous vous invitons également à partager à un maximum de contacts ces informations afin que les client·e·s du Craft Beer Lab et du Cocorico ne se fassent plus tromper sur la marchandise.
Pas de fachos dans nos bistrots !